Interview | Jérôme Capdevielle souhaite des assises de l’emploi et un plan de relance XXL en 2021
Si 2020 a apporté son lot de surprises au niveau sanitaire, le Père Fouettard a déjà dans sa hotte pour 2021 un nombre croissant de plans sociaux, la hausse du chômage et son corolaire d’accroissement des allocataires des minima sociaux.
Nous avons évoqué ces sujets avec Jérôme Capdevielle ; Secrétaire départemental de Force Ouvrière et Président de la Caisse d’Allocation Familiale des Pyrénées-Orientales.
Même les entreprises non rentables avant-crise sont dans une bulle de protection
“Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où le monde du travail est sous une bulle de protection. Même les entreprises qui n’étaient pas rentables avant la crise sanitaire – ou vouées à l’échec – sont maintenues par cette espèce de cocon. Ce sont autant de personnes en moins au chômage suite à la liquidation de leur employeur. Ces salariés sont maintenus dans le marché de l’emploi grâce au dispositif du chômage partiel. La protection sociale et l’ensemble des amortisseurs sociaux ont été déployés par le gouvernement.
Nous sommes dans un pays où la Sécu fête ses 75 ans ; et même si parfois on parle d’elle comme d’une vieille dame, elle est loin d’être has been. Au contraire, elle est d’une profonde modernité et a su s’adapter sur bon nombre de volets.
La sécu, ce sont des outils mis à disposition des partenaires sociaux ; mais aussi des gouvernements. Et il a actionné ces leviers – parfois pas assez à mon goût – mais il faut avouer qu’il y a une réelle mise sous protection des salariés, des outils travail, et des entreprises elles-mêmes. À tel point que cette situation gelée pérennise de manière artificielle les entreprises malgré l’absence d’activité.
07/05/2020, Canet-en-Roussillon, France, Illustration déconfinement interdiction plages, bord de mer, terrasses des cafés et restaurants
Cette bulle est protectrice, mais à un moment donné, elle éclatera
Même si on espère tous une reprise d’activité dans un monde sécurisé. Mais nous devons tous être vigilants sur la préparation de l’éclatement de cette bulle. Plus vite nous arriverons à rebondir, mieux nous préserverons l’emploi ; même si, pour certains secteurs, ce sera plus difficile que pour d’autres.
Je pense notamment aux restaurateurs, à l’hôtellerie. Cafés, restaurants ne vont pas se mentir. C’est, pour moi, un point vigilance important. Parce qu’il va y avoir de la casse chez nous dans ce secteur-là.
Manifestation des commerçants et artisans à Perpignan © Idhir Baha
Porter le dossier d’une unité hospitalière sécurisée dans les Pyrénées-Orientales
Nous souhaitons aussi être force de proposition. Outre la construction d’une deuxième prison, je souhaiterais porter le dossier de création d’une unité hospitalière sécurisée*. Ce projet représente environ une centaine d’emplois directs ; mais aussi des emplois indirects liés à l’activité.
Par ailleurs, il faudrait attirer un ou deux fleurons pour favoriser un socle d’emplois pérennes à forte valeur ajoutée ; ce qui contribuerait à une ossature économique forte sur le département.
Nous devons également tirer parti du plan de relance sur le département ; même s’il est largement insuffisant. Nous avons des problématiques et des atouts bien spécifiques.
Et nous avons aussi un Premier ministre qui connaît bien les Pyrénées-Orientales. Il va falloir qu’il mouille un peu le maillot !
Je peux comprendre qu’aujourd’hui son attention soit prioritairement portée sur la gestion de la crise sanitaire. Mais une fois que nous y verrons plus clair, il faudra trouver des solutions pour le département dont il est issu. Parce que l’attente est forte et c’est une opportunité qu’il faut saisir.
Conseil départemental des Pyrénées-Orientales CD66 assemblée Jean Castex
Nous devons arriver à faire des bons coups sur les implantations d’entreprises…
…. Et ainsi nous permettre de respirer un peu mieux ; cela fait trop longtemps que c’est atone, trop longtemps que l’on joue les premiers rôles au niveau du taux de chômage et de la précarité. Il faut un électrochoc, obtenir un certain nombre d’engagements, des signaux forts. Et je souhaite que nous jouions un rôle moteur sur l’emploi.
On appelle cela comme on veut – les assises de l’emploi ou autre – mais il va vraiment falloir nous nous mettions tous au chevet de ce département pour trouver des solutions.
La morosité ambiante est bel et bien présente ici ; et depuis bien longtemps. Il va absolument falloir que nous sortions de cette ornière, cette ornière de la solidarité, et que nous retrouvions foi en la valeur travail. Parce que certes, nous sommes solidaires, mais je ne peux pas me satisfaire de cela. J’aimerais que nous inversions les indicateurs au niveau du RSA et que ce chiffre cesse d’augmenter.
Perpignan 07-04-2020 Distribution colis alimentaire par le Secours Populaire et le Conseil Départemental 66 © Arnaud Le Vu / MiP
Quid des négociations sur le télétravail ?
Le télétravail a fait un énorme bond en avant. Diverses études parlent d’un bond de 5 ans. Ce qui aurait dû être mis en place en 5 ans, l’a été en trois jours et dans la précipitation. En l’espace de quelques jours lors du premier confinement, les salariés, les managers et les employeurs ont dû revoir de fond en comble l’organisation de travail.
Ce nouveau phénomène a suscité beaucoup d’interrogations de part et d’autre ; de la part des employeurs mais aussi de la part des salariés. C’est pour cela qu’il était important d’ouvrir des négociations d’un accord national interprofessionnel.
Il y a beaucoup de sujets connexes au télétravail
C’est un sujet bien plus complexe qu’il n’y paraît. La négociation portait sur deux axes : Le premier concernait le télétravail en période normale ; et le second sur des périodes exceptionnelles comme celle que nous vivons.
Alors que le gouvernement affirme que le télétravail doit être la règle, nous demandons d’éviter le dépassement de deux, voire trois jours en télétravail. Cela permet de faire des rotations dans les équipes et de garder le lien avec l’entreprise, les collègues, de conserver l’esprit d’équipe. L’objectif est d’éviter l’isolement et la souffrance qui en découlent.
Les études montrent qu’au-delà de deux jours, on a des risques de décrochage. Les situations de démission ou les procédures de licenciement concernent également plus les télétravailleurs que les salariés en présentiel.
Jérôme Capdevielle Force Ouvrière syndicat Pyrénées-Orientales
Aujourd’hui le télétravail, c’est le flou !
Le télétravail d’aujourd’hui est basé sur une réglementation “has been“. Le télétravail était une option négociée au sein de chaque entreprise ; et aujourd’hui, on bricole avec cette réglementation. Les solutions sont mises en place à la carte en fonction des entreprises.
Prenons exemple sur la Caisse d’Allocations Familiales des Pyrénées-Orientales. Aujourd’hui, la CAF fonctionne en présentiel pour l’accueil physique et un peu de la production des dossiers ; mais tout le reste est en télétravail. Mais surtout, c’est sur la base du volontariat. Et il faut aussi voir l’investissement colossal en dotation de matériel informatique ! Un gros travail avait été fait depuis 4 ans sur le sujet ce qui a permis d’être très rapide et efficace lors du premier confinement.
Notre volonté dans cette négociation est d’éviter le télétravail permanent ; c’est-à-dire 100% des jours de travail en distanciel. L’un de nos premiers axes de réflexion est de procéder sur le mode du volontariat du salarié. L’employeur ne pourrait donc pas imposer le télétravail. Ce dernier n’a pas de contrainte hormis dans le cas d’un salarié dit à risque.
Actuellement, il n’y a pas vraiment de contrainte, ni d’un côté, ni de l’autre. Aujourd’hui, on est dans une espèce de flou.
* Une unité hospitalière sécurisée interrégionale est une unité prenant en charge les hospitalisations programmées de plus de 48 heures des personnes détenues au sein d’un établissement public de santé français.
** Muriel Pénicaud et Sibeth Ndiaye étaient venues dans le département en janvier 2020. A l’époque elles étaient respectivement, ministre du travail et porte-parole du gouvernement.
par MT – Interview | Jérôme Capdevielle souhaite des assises de l’emploi et un plan de relance XXL en 2021 (madeinperpignan.com)